Emmanuel Tugny sobre ALMA DESCARNADA

 

 

Là ou ça sent la merde

   ça sent l’être.
L’homme aurait très bien pu ne pas chier,
ne pas ouvrir la poche anale,
mais il a choisi de chier
comme il aurait choisi de vivre
au lieu de consentir à vivre mort

 

Antonin Artaud, Pour en finir avec le jugement de Dieu

 

 

 

Ce que propose à l’orée l’oeuvre photographique de Mauro Holanda, c’est la redécouverte violente -et si j’ose dire crue- de cet érotisme étrange de la mort, de cette paradoxale rencontre en soi de l’extase et de l’effroi devant quoi nous avions sans même y prendre garde abandonné Lorrain, Bataille, Zurbaran, Pasolini, Caravaggio, tant d’autres...

 

Or, l’oeuvre de  Mauro Holanda, qui s’incrit dans cette tradition "erothanatique" où s’épousent l’instant de l’échappement  de l’anima et celui de sa relève par une "anima d’art", par l’entéléchie adventice du geste artistique, a ceci de bon qu’elle rend à sa crudité refoulée tout un pan de l’Histoire de l’Art où l’Art ranime, rend vie, érotise l’immobilité, la sidération terminales, dans un geste à la fois insolent et rédempteur.

 

Et cet oeuvre le fait en cuisine, au piano, dans l’antichambre de l’ingestion, il dit ce que Rabelais dit, ce qu’Artaud dit :  il pose l’art comme le résultat d’une chaîne où se font cortège appétence , ingestion , digestion et défécation.

 

Voilà la mort désirée, mâchée et remâchée, rendue, enfin, par l’art, cet organe tubulaire à rendre la nature à la nature, le motif au motif, le paysage au paysage, la vie à la vie.

 

Et voilà que l’on rit, que l’on rit jaune (car les valeurs cèdent alors, qui ordonnent le temps en vie et mort), de voir ces morts avancer depuis une machination, une macération, depuis une conspiration digestive de l’art. Voilà que l’on rit jaune de voir cette danse macabre "rendre à la nature tout ce qu’ensemble elle avait joint " (Baudelaire), faire un pied de nez gargantuesque à l’esthétique des vanités, affirmer la  rigolante et éternelle unité de l’unité en l’Art.

 

L’amateur d’art écoute, respire, mange, embrasse, baise des morts, il voyage en terre passée, sur chemins perdus, aux mains d’absentés "comme pour toujours". L’Art est divination et suscitation d’éternité, il dit la vanité du vivant et dans le temps même rend éternels ses Hamlet au crâne, ses ambassadeurs d’Holbein à l’anamorphose,  ses Marie-Madeleine de chez La Tour: Il dit l’expérience des limites du vivant et celle de son éternité en l’Idée , le nombre et le geste qui sont autant de vorations d’aveugle.

 

Car l’art ne voit pas, il est l’aveuglé ruminant qui engloutit  "au secret " la vie et la rend à la vie, s’en retranchant (Vermeer, Chardin, Rothko), ou y imprimant la marque du faiseur, du facteur, du  "poïète" (Hals, De Staël, Basquiat).

 

Or, voilà la vie toute crue, la vie éternelle et apéritive de la mort décrétée par le bouffeur bouffon aveugle.

 

Voilà en somme ce que la générosité de Mauro Holanda nous offre et nous rappelle,  et ce n’est pas rien : le gros rire franc de l’art comme condition, comme vie de la vie.

 

Emmanuel Tugny, Porto Alegre RS Brasil - Alma Descarnada  le 25 novembre 2008

 

                                                                             

 

 


publicado por ardotempo às 16:18 | Comentar | Adicionar